Les dames du Méditerranée Express

Série de 3 volumes publié chez Julliart puis France Loisirs et enfin Pocket

Tome 1 La jeune mariée (1990)
Tome 2 La fiére américaine (1991)
Tome 3 La princesse Mandchoue (1991)

Texte « Les Dames du Méditerranée-Express » de Juliette Benzoni

« Où allez-vous chercher tout ça ? … »

Depuis la trentaine d’années que j’encombre les rayons des libraires, j’ai entendu cette question des centaines, peut-être des milliers de fois, posée avec gentillesse par les lecteurs rencontrés au hasard d’une signature ou d’un salon, avec une vague méfiance par mes amis et avec une franche inquiétude par ma famille qui pourrait bien avoir tendance à me considérer comme une erreur de la nature. Et, au fond, n’ayant guère le sens de la répartie, je n’ai jamais été capable d’y répondre intelligemment, c’est-à-dire autrement qu’en riant bêtement ou en lançant une phrase aussi lapidaire que : « Je ne sais pas » ou encore : « ça vient tout seul »…
En fait, ce n’est pas tout à fait vrai comment expliquer sans se lancer dans de longues digressions génératrices d’ennui – ce que je redoute le plus au monde sans l’avoir jamais connu – le lent cheminement des idées et des coups de cœur qui finissent par composer ce que l’on appelle un roman ?
Pour moi, au commencement était l’Histoire. Je l’ai rencontrée lorsqu’en classe de 9ème j’ai reçu le premier livre qui en traitait. A l’époque, les enfants ne bénéficiaient pas d’ouvrages admirablement présentés, avec des illustrations en couleurs et de nombreux documents photographiques. Celui-là s’enjolivait seulement de quelques dessins « au trait » mais il s’est trouvé qu’en l’ouvrant mes yeux sont tombés sur ce que l’on pourrait appeler même maintenant : une image forte, une jeune femme vêtue de blanc liée par des chaînes sur un tas de bois auquel un homme était en train de mettre le feu. Cette figure, à la fois sublime et naïve, m’est entrée dans l’esprit en même temps que dans le cœur. J’ai voulu en savoir plus et, très vite, je suis devenue « bonne » en histoire, et aussi en français parce que j’ai toujours aimé la musique des mots et les belles sonorités de notre langue. Ce qui m’a tirée d’affaire au bac, en dépit d’une quasi-nullité en maths, mais alors que je contemplais Jeanne d’Arc au bûcher je n’aurais jamais osé imaginer que bien des années plus tard, c’est elle que je reviendrais chercher pour apporter à sa cathédrale de lumière ma petite pierre d’admiration en osant faire d’elle « Catherine », l’un des grands personnages de mon premier roman historique ; cette Catherine qui fut aussi ma mascotte.
Deuxième choc, reçu un an après environ : les Trois Mousquetaires dévorés avec l’appétit d’un haut fourneau. Tout Dumas y est passé ensuite, presque sans respirer. Déjà marquée par ce « vice impuni » de lecture, je portais aussi en moi cette passion de l’Histoire que je garderai jusqu’à ce que mort s’en suive. Et peut-être même au delà. J’ai souvent pensé qu’il serait bien agréable de connaître le fin mot sur l’affaire du Masque de fer et celle de Louis XVII à qui je dois quelques insomnies.

« Des  romans nés d’un coup de cœur… »

Mon cas était sans espoir lorsqu’une troisième rencontre est intervenue. Je devais avoir quatorze ou quinze ans lorsque André Chamson, alors conservateur du Petit Palais, organisa l’une des plus fabuleuses expositions de peinture que j’aie jamais vues : l’Art italien qui draina jusqu’aux bords de la Seine les plus grands chefs-d’œuvre pouvant raisonnablement être décrochés des cimaises ou des palais et voyagé sans trop de risques. Cela débutait avec Cimabue. J’ai dû visiter ce fantastique rassemblement une grosse douzaine de fois, fascinée, éblouie et si, par la suite je me suis souvent rendue en Italie je n’ai jamais pu, même sur place, oublier cette première extase et je ne crains pas d’affirmer que La Florentine est née, tant d’années après grâce à M. André Chamson…
En fait, chacun de mes romans est né d’un coup de cœur. Au cours des dix années que j’ai vécues à Dijon, je me suis passionnée pour l’histoire des ducs de Bourgogne avec un petit plus pour la légende de la Toison d’Or et les fulgurances shakespeariennes du Téméraire. Quand le temps de l’écriture est venu pour moi, l’image du duc Philippe a rejoint tout naturellement Jeanne d’Arc, avec tous les personnages qui les entouraient pour composer les sept volumes de Catherine.

Le Gerfaut est né de l’attrait qu’exerce sur moi la Bretagne, de la légende célèbre de la mariée enterrée vivante de Trecesson, de celles flottant comme des brumes sur les tours en ruines de La Hunaudaye, d’un intérêt plus vif pour les insurgents de la guerre d’indépendance américaine et les Français qui les ont aidés, enfin des problèmes créés par la bâtardise à un garçon décidé à s’en sortir à tout prix. Les hasards d’un pèlerinage à Compostelle, au XIIè siècle m’ont jetée sur « Un aussi long Chemin… ». D’autres légendes – j’ai un faible pour elles ! – jointes à l’héroïque aventure des Trois Glorieuses, à un grand attachement à Delacroix – toujours la peinture ! – à l’auréole douloureuse de l’Aiglon ont fait surgir, si bizarre que cela puisse paraître, Les Loups de Lauzargues tous poils dressés de leurs forêts auvergnates. Et  si Marianne, en dépit d’une évidente sympathie pour Napoléon, ne m’a vraiment attachée sur le tard c’est tout simplement parce qu’il s’agissait d’exaucer un désir de mon éditeur souhaitant célébrer à sa façon le Bicentenaire de l’Empereur. Cela n’a d’ailleurs pas tellement bien marché au début étant donné la quantité de livres qui ont peint en vert Empire avec abeilles d’or les vitrines de toutes les librairies grandes ou petites… Une erreur que je me suis bien gardée de répéter lorsque se sont annoncés les tambours, les festivités et autres commémorations de 1789 et si, comme tout le monde ou presque, j’ai dans mes tiroirs, une idée et un plan traitant de cette terrible époque, j’ai bien l’intention de les y laisser dormir une bonne dizaine d’années. Les indigestions sont parfois longues à guérir…
 Les Dames du Méditerranée-Express viennent de loin, elles aussi. Même si, changeant d’éditeur, j’ai choisi  un ton et un style un peu différents, la Jeune mariée est le premier des quarante livres écrits jusqu’à présent où j’ai inclus quelques souvenirs d’enfance transposés dans ce début de du XXème siècle qui vit celle de mes parents et la jeunesse de mes grands-parents. Flaubert disait « Madame Bovary, c’est moi » ; pourtant je ne me reconnais pas dans Catherine, ni dans Marianne, ni dans Marjolaine, ni dans Hortense ou Félicia et encore moins dans Fiora. A l’exception peut-être d’un goût certain pour la bonne cuisine et les grands crus qui faisait soupirer  Marion Sarraut, réalisateur de toutes les séries télévisées : « On devrait appeler ça Catherine, Trois étoiles au Michelin ! »

« Une manie ferroviaire »
Parmi tous les moyens de locomotion que les temps modernes ont mis à notre disposition, j’ai toujours eu un faible pour le train à cause du loisir qu’il accorde et de la possibilité de contempler le paysage. Les anciens trains surtout, ceux à compartiments, qui offraient parfois un agréable compagnonnage et permettaient d’aller fumer une cigarette dans le couloir, déjeuner  ou diner au wagon-restaurant et, sur un plan général, de se dégourdir les jambes. L’avion que j’ai pris, cependant, et prends encore bien souvent, ne m’a jamais enchantée bien que je le crains pas. Avec lui, on ne sent pas voyager, sans compter que s’il est indispensable pour les longues distances, il compense cette commodité par les désagréments du décalage horaire. Et si j’aime plus que tout le bateau sous toutes ses formes, je reconnais volontiers qu’à notre époque, trois semaines pour aller aux Indes, c’est un peu long…
Donc, le train ! Et puisque nous en sommes aux confidences je vais vous dire comment il a joué, bien innocemment, un grand rôle dans ma vie. Durant les 4 années qui ont précédé la dernière guerre – enfin celle qui était jusqu’à présent la dernière ! – je passais, en septembre, quelques jours de vacances à Dijon chez une amie de collège dont la grand-mère y possédait une grande propriété. Or, cette amie avait deux frères ainés dont l’un manifestait pour les chemins de fer une véritable passion qui l’entraînait assez souvent, vers minuit, à la gare de Dijon pour y voir passer les grands express européens et rêver devant les wagons derrière les rideaux desquels on apercevait des reflets adoucis par des abats-jour de soie rose et parfois des personnages dont on essayait d’imaginer la vie. Étant presque aussi intéressées que lui, nous l’avons souvent accompagné, sa sœur et moi, toujours avec le même plaisir . Le Simplon-Orient-Express était notre favori et je garde très présent le souvenir de ces heures passées dans les courants d’air et si je n’ai épousé ni l’un ni l’autre des garçons, je me suis tout de même mariée à Dijon, avec leur meilleur ami, un jeune médecin. Pendant 10 ans, j’ai vécu pas tellement loin de cette gare que j’aimais tant et dans laquelle je me suis bien souvent embarquée pour des destinations variées. Ma fille a hérité quelque peu de ma manie ferroviaire…

Néanmoins, attirée de préférence par ce que Marice Toesca appelle si joliment : « Le bruit lointain du Temps » je n’ai pas songé, pendant longtemps à écrire sur le thème des chemins de fer. Pour réveiller mes démons assoupis il a fallu que mon ami Jeans des Cars fasse paraître son charmant « Sleeping Story » et, surtout ses trois fabuleux ouvrages, concoctés avec Jean-Paul Caracalla, qui ont pour titres : « L’orient-express », « le Transsibérien » et « le Train Bleu ». J’ai passé des heures à les lire et à en contempler les belles illustrations. Cette fois j’étais bien reprise par mes vieux rêves.
Naturellement, le premier train auquel j’ai pensé était la grande ligne qui rejoignait Istanbul mais Pierre-Jean Remy avait écrit sur elle et de belle façon ainsi qu’Agatha Christie. Et puis, je voulais me promener dans les premières années de mon siècle pour que mes héros puissent bénéficier, enfin, du confort moderne. Un premier nom m’est venu à l’esprit : le Riviera-Express.  Cela sonnait bien mais ne faisait pas mon affaire : ce train-là partait de Berlin et ne rejoignait les lignes de la Côte d’Azur qu’à Lyon. J’ai donc choisi le « bon vieux Méditerranée-Express » et, l’imagination venant à mon secours, je l’ai peuplé de voyageurs qui, je l’espère, sauront séduire et attacher tous ceux qui me lisent depuis si longtemps. D’autant qu’il y a un fond de réalité ainsi d’ailleurs que plusieurs liens dans la trilogie que composent  « la Jeune Mariée » , « la Fière Américaine » et « la Princesse Mandchoue ».

En résumé, la « recette » que j’utilise est assez simple : il s’agit d’étudier à fond une période historique avec tous les détails y afférents sans oublier la mode et la cuisine. Faire une chronologie serrée, semaine par semaine et jour par jour si c’est possible et puis introduire sur ce fond bien construit des personnages que l’on s’efforce de rendre attachants et capables de donner la réplique aux grandes figures qui les entourent et qui, bien sûr, ne sont pas toujours d’un maniement facile. Cependant, il est une chose que je tiens à dire : en dehors de la joie d’écrire qui m’est devenue indispensable, le travail de documentation est celui qui me donne le plus de bonheur. La femme, tout le monde sait cela, est un animal essentiellement curieux. A tous les sens du terme.
Alors, où vais-je chercher tout cela ? Mais dans l’Histoire bien sûr ! En y ajoutant tout de même une petite dose d’imagination…

PS – J’allais oublier de vous dire que, comme Mélanie, j’ai été une élève du cours Désir, dans les petites classes, et que le mini-scandale de l’Opéra fait partie de mes exploits personnels

Juliette Benzoni ©Editions France Loisirs