Presse

Un bel article dans Paris Match le 23 avril 2009 – Maurice Druon
« Maurice Druon, mon ami. Par Alain Decaux, de l’Académie française »

J’écris cet article au lendemain de la mort de Maurice Druon. Le retrouvant, après qu’il eut tant souffert, allongé sur son lit dans un costume noir, le visage imprégné d’une sérénité immense, je n’ai pu que l’embrasser, pleurer et prier.

 

Alain Decaux – Paris Match

 

Dire que cet homme-là ait été commode serait trahir la vérité.
Sa vie le montre en un perpétuel combat. Quand il aime, il le manifeste hautement. Quand il hait, il le clame. D’où beaucoup d’ennemis mais aussi des amis nombreux qui ont fait bloc autour de lui. Je fus l’un d’eux. Cette amitié, nous en convenions tous deux, était le comble du paradoxe.

 

D’une part, un gaulliste – et quel gaulliste ! – glissant de plus en plus vers la droite ; de l’autre, un mendésiste attiré plutôt vers la gauche. Rien de tout cela ne nous a gênés. Ni lui ni moi.
Un jour, je lui ai lancé : « Nous sommes des amis, Maurice. Personne ne peut dire le contraire. Pourtant, nous n’avons pas une seule idée en commun ! » Ensemble nous avons ri. Pour moi, il n’a jamais changé, jamais vieilli : superbe, grand, droit, beau, quelque peu massif, d’une élégance recherchée mais discrète. A la campagne, il se muait en cavalier. A plus de 80 ans, il montait encore. Je l’ai toujours connu armé d’une passion, voire de plusieurs. Il en fallait pour rejoindre de Gaulle à Londres en 1942 et, dans un Paris enfin libéré, se muer en correspondant de guerre.

 

Sa culture m’éblouissait. En littérature comme en art, quoique plutôt tourné vers le passé, il savait tout sur tout.
Sa vocation d’écrivain remontait à son adolescence. A 18 ans, il publiait déjà des articles dans des revues littéraires. Que d’heures nous avons passées ensemble ! D’abord chez lui à Paris, dans un appartement lumineux donnant sur un jardin, peuplé de meubles rares et de tableaux qui lui ressemblaient. Ensuite, bien des fois, en cette abbaye de Faise, non loin d’Avignon, qu’il avait découverte en ruine et restaurée à ses frais. Plus tard, dans l’appartement démesuré, toutes les fenêtres donnant sur la Seine, que l’Institut de France réserve, au palais Mazarin, à ses secrétaires perpétuels. Sublime. Il a néanmoins fallu quelque temps pour que Maurice, secondé par Madeleine, son épouse, le rende quelque peu à leur image. Simple exemple : en requérant du château de Versailles que lui fussent remis les portraits des secrétaires perpétuels de toutes les générations ; pourquoi dormaient-ils là ?

 

Maurice exigeait. Rarement on lui résistait.
Je l’ai rejoint à l’Académie française au moment précis où mon bulletin pouvait s’ajouter à ceux qui l’ont élu secrétaire perpétuel.

 

Ailleurs, on s’étonnait : « Tu votes pour ce réac ? »
J’observais que je votais pour mon ami.Chaque secrétaire perpétuel a exercé ses fonctions selon son tempérament. Maurice les a prises telles que sa nature, fuyant la nuance, le lui imposait : il s’y est littéralement immergé. Outrepassant les tâches qui lui revenaient, il s’en est donné cent autres. On l’a vu courir le monde, en quelque sorte pour « vendre » l’Académie française. De Richelieu, nous avions reçu le devoir de défendre la langue française. De son propre mouvement, Maurice y a ajouté la francophonie.

 

Le texte officiel précisait que celle-ci concernait ceux qui avaient le français en usage. Péremptoire, Maurice a demandé – et obtenu – que l’on écrivît désormais : en partage.
Un dimanche soir, Michel Rocard – que je ne connaissais pas – m’a appelé au téléphone : « Voulez-vous être ministre de la Francophonie ? » Je n’avais guère envie d’abandonner mes livres et mes émissions. A qui demander conseil ? Je n’ai pas hésité, j’ai appelé Maurice. Après tout, il avait été ministre des Affaires culturelles sous Pompidou. « Que dois-je faire ? » A l’instant, la voix de bronze : «Alain, on te demande de servir l’Etat. Tu n’as pas le droit de te dérober. »J’ai dit oui à Michel Rocard. Tel était Maurice. Mon ami. Point final