Portrait dans la presse

Les belles histoires de Juliette
Par Catherine Argand publié le 01/07/1997 Dans le magazine L’Express

En 1935, quand les parents de Juliette, qui avait quinze ans, sont arrivés à Saint-Mandé, les fermiers y trayaient encore les vaches. Aujourd’hui, tous les jours à 17h30, la Saint-Mandéenne promène Ours, son chien, dans ce quartier paisible et verdoyant aux portes de Paris. Juliette Benzoni, du nom de son second mari, un officier qui – Indochine oblige – la laissa en plan peu avant le voyage de noces qu’elle fit à Capri avec sa maman, est une star de l’édition. Son cinquante et unième roman historique, La chambre de la reine (Plon), est déjà dans la liste des best-sellers, quatre de ses romans, dont Le gerfaut des brumes, furent adaptés à la télévision et le nombre de ses lecteurs dans le monde (elle est traduite en 22 langues) frise les 50 millions. Un destin scellé dès l’enfance: à neuf ans elle découvre dans son livre d’histoire Jeanne d’Arc ficelée sur le bûcher. Quel choc! De ce jour sa passion pour l’histoire, en particulier pour le Moyen Age et la Renaissance, ne la quittera plus. Faute d’être journaliste ou ambulancière pendant la guerre (son papa ne veut pas), elle se met à écrire des histoires pour Confidences, passe à la télévision dans le jeu de Pierre Sabbagh, « Le Gros Lot », et, à la demande de l’éditeur Gérald Gauthier qui cherchait un feuilleton digne de succéder à Angélique sur le mode « tout passe par l’héroïne », finit par écrire les aventures de Catherine. Depuis, à raison de deux livres par an, Juliette continue de « distraire les gens de leurs soucis en essayant de leur apprendre quelque chose ». Quand elle n’écrit pas, elle apprend des vers de Racine, reçoit ses nombreux amis, cuisine, goûte l’art et la musique ou salue les dames du bois pour qui elle a un faible depuis qu’en 1942, à la naissance de son fils qu’elle ne pouvait allaiter, les prostituées soignées par son premier mari médecin l’approvisionnèrent deux ans durant en oranges fraîches. Juliette est ainsi: bûcheuse, gourmande et tendre avec les autres, les personnages de ses romans où l’art du suspense joue avec une très sérieuse documentation.

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Portrait du journal Libération le 1 juin 1999

Juliette Benzoni, 78 ans. Arrivée par hasard dans l’écriture, elle vend dans le monde entier des sagas à l’eau de rose pleines de têtes couronnées. La reine des tomes.

Par NIVELLE Pascale

A 9 ans, dans un manuel d’histoire, elle découvrait Jeanne d’Arc sur

son bûcher. Depuis, Juliette Benzoni a toujours une héroïne sur le feu. Elle a publié 57 romans d’environ 500 pages tirés à 300 millions d’exemplaires, selon son éditeur, certains traduits en 22 langues. En Russie, on trouve des pastiches signés Benzoni. Ses sagas font pleurer en finnois et en hébreu. «Un cas d’espèce, assure Patrick de Bourgues, son éditeur chez Plon, elle court dans la catégorie Cartland et Higgins Clark.» Dans le genre très français du roman historique, des fresques en trois tomes, intitulées Dans le lit des reines, Félicia au soleil couchant, les Emeraudes du prophète » Où Louis XIII fleurette avec une courtisane aux yeux violets, tandis que le cardinal de Richelieu ourdit en son dos des complots. L’histoire de France est vue par des yeux toujours féminins, toujours énamourés. Juliette, alias Fiora, Hortense ou Sylvie, batifole à Valmy, intrigue au Louvre, séduit les princes, mais ne change jamais le cours de l’Histoire. Entre concubines imaginaires, enfants faussement naturels et amours illégitimes, elle prête aux têtes couronnées des dialogues d’un romantisme échevelé. Et retombe toujours sur ses dates et ses pattes.

Alain Decaux, un admirateur, ne l’a jamais surprise en flagrant délit d’anachronisme: «Victor Hugo, Alexandre Dumas » elle est dans la veine des grands romanciers historiques. Et c’est bien, car des gens qui n’ouvriront jamais une thèse d’histoire vont lire Benzoni. Ils auront appris quelque chose.» «Je suis une romancière populaire», se présente, modeste, Juliette Benzoni. C’est une petite dame très dynamique aux cheveux blancs. Entre mamy gâteau et Tatie Danielle, un personnage d’Agatha Christie, qu’elle adore d’ailleurs. «J’apporte simplement du plaisir. Mais ça n’intéresse pas la presse, car je n’ai pas de message à délivrer.» Les gazettes littéraires, les historiens, les meilleurs libraires snobent son succès: «Je suis très isolée, vous savez.»

Bernard Pivot a fait savoir qu’elle n’avait pas besoin d’Apostrophes pour vendre ses livres. Elle n’est invitée ni aux dîners en ville, ni aux prix littéraires. Mais peut lui chaut, comme dirait la ravissante Fiora la Florentine (quatre tomes). Juliette a son public, comme Max Gallo ou Henri Troyat, ses modèles, ont les leurs. Le bouche à oreille et France Loisirs, dit-elle, font de plus grands miracles que les critiques. Et Lionel Jospin lui a personnellement décerné la Légion d’honneur l’an dernier. Un article dans Esprit ne l’aurait pas estourbie davantage. «Ça m’est tombé dessus comme un jour de grand vent.»

Elle habite à Saint-Mandé, en banlieue parisienne, depuis «l’an de grâce 1935». Avec sa fille, son chien et une dévouée Maria. Le pavillon est en location, le Titien accroché au-dessus de la commode est une copie. Chaque fin d’été, elle part en villégiature à La Trinité-sur-Mmer. Chaque soir, elle regarde Questions pour un champion. Et, chaque semaine, joue au Loto. Comme des millions d’autres dames de son âge. La différence, c’est qu’elle écrit les livres que les autres lisent, et qu’elle redoute, au fond, de gagner: «Si je décrochais le gros lot, je crois que je perdrais mon autre chance.»

A 30 ans, ses proches auraient parié davantage sur le Loto que sur sa plume. Juliette n’avait encore rien écrit, et élevait ses deux enfants auprès de son mari, médecin. Quand celui-ci meurt d’une crise cardiaque, elle doit travailler. Par hasard, elle écrit ses premières lignes, des réclames pour les pâtes Mélusine. Puis une petite annonce du Figaro, «on demande des gens sachant écrire», décide de son destin. Juliette Benzoni est engagée à Confidences, journal du coeur, pour broder des histoires d’amour. Experte en eau de rose, passionnée d’histoire depuis sa rencontre avec Jeanne au bûcher, elle complique bientôt le genre avec les Confidences de l’histoire. Puis un éditeur, Opéra Mundi, qui cherche un concurrent au filon des Angélique, la saga sirupeuse de Serge et Anne Golon, confie la tâche à Juliette. Avec un seul conseil: «Tout passe par l’héroïne, elle voit tout.» A 42 ans, elle pond 800 pages d’un coup, son premier roman. La série des Reines tragiques sera publiée en feuilleton dans France-Soir, adaptée pour la télévision et traduite en neuf langues. Vingt ans après, comme disait son ancien confrère, Juliette Benzoni était multimillionnaire.

Elle finit un livre et recommence. Deux par an. Sa recette? «C’est tout simple. Je me lève à six heures et demie et j’écris trois pages.» Elle explique: «Je suis un rat de bibliothèque qui n’a pas une histoire terrible et qui raconte celles des autres. Je m’évade de ma vie.» Un second mari, emporté à son tour par une attaque. Et le fils, mort brutalement lui aussi » le malheur n’est romantique que dans les livres. Dans le monde de Juliette, les gens meurent quand elle le décide, «c’est pratique, quand je ne sais plus quoi faire d’eux», l’amour est toujours chaste et les crimes ne restent pas impunis. Elle a ses bons Louis (XIII, XVI) et ses méchants (XIV), ses jours heureux (avant 1789), ses époques épiques (la guerre des chouans), un amoureux (Bertrand Du Guesclin). Sa plume court du Moyen Age aux années 30, «après, c’est mon époque, et cela ne m’intéresse pas». Toujours dans le sillage des rois et des puissants, l’héroïne valse de passion en aventure.

Et dans la vie? «L’amour, la politique » c’est moins bien aujourd’hui, non?» Juliette raconte l’Exposition coloniale de 1931 au bois de Vincennes, Paris occupé » Pas passionnant, elle y était. Son deuxième mari était officier de spahis en Indochine. Plus tard, il devint adjoint au maire RPR de Saint-Mandé, et elle était de son avis. Aujourd’hui, elle espère que Jean Marie Le Pen, natif de La Trinité-sur-Mer, ne lit pas ses livres. «Je déteste cet homme! La chose que je lui ai le moins pardonnée, c’est d’avoir anschlussé Jeanne d’Arc »» Un peu fière, Juliette Benzoni ajoute: «Je me suis quand même offert le luxe d’envoyer quelques coups de patte à Hitler et Mussolini» (le Boiteux de Varsovie, quatre tomes).

La nuit porte souci. Les impôts: «Si je savais l’anglais, j’aurais émigré en Irlande. Encore qu’un dimanche anglais est aussi ennuyeux qu’un dimanche en Suisse.» Sa hantise, c’est surtout «que l’inspiration flanche». «Un mauvais livre, ça fiche tout par terre», assure-t-elle. Pour conjurer ses angoisses de débutante, «je suis toujours morte de trouille quand je remets un manuscrit», elle s’enferme dans son antre, que personne ne visite. Une chambre-bureau, à l’étage de son pavillon où elle a enfermé sa vieille machine à écrire et son imagination. Elle apprend des vers et des numéros de téléphone par coeur, afin de ne pas perdre la mémoire. Pour un détail sur la bataille de Valmy, elle peut rester éveillée jusqu’à l’aube. Le lendemain, elle quête la précision dès l’ouverture des Archives nationales ou de sa librairie de quartier. Son prochain livre? Une histoire du temps des rois de France, en trois tomes avec une héroïne » le Jeu de l’amour et de la mort.

photo OLIVIA GAY

JULIETTE BENZONI EN 9 DATES 30 octobre 192O. Naissance à Paris.

1950. Mort de son premier mari.

1953. Première collaboration à Confidences.

1962. Premier tome des Catherine, sept tomes et 3500 pages.

1964. Série des Reines tragiques.

1983. Dans le lit des rois. Suivi de Dans le lit des reines.

1988. Fiora et le magnifique. 1989. Fiora et le téméraire. Suivi de Fiora et le Pape. Puis Fiora et le roi de France.

1999. Les Emeraudes du Prophète, Plon.

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Le Club reçoit Juliette BENZONI
Interview du 07/03/2000

Romancière fétiche du Club (dont elle est membre à titre personnel depuis près de vingt ans), Juliette Benzoni est l’auteur français le plus traduit dans le monde. Digne héritière d’Alexandre Dumas qu’elle surpasse par la rigueur et l’exactitude de ses sources, la reine Juliette a hissé au pinacle des lettres le genre naguère décrié du  » roman historique « . A l’occasion de la parution de Reines tragiques, le Club a rencontré cet immense écrivain.

« Je choisis mes héroïnes dans une époque donnée, mais je les fais réagir comme des femmes modernes pour que mes lectrices puissent se retrouver en elles. »



 

Le Club : Votre nouveau roman est éclaté en dix-huit biographies de reines qui ont fait l’histoire. Avez-vous décidé de rompre avec les sagas qui ont fait votre succès ?

Juliette Benzoni : Bien sûr que non. Il ne s’agit d’ailleurs pas véritablement d’un roman mais d’une sorte de récréation. Avec Reines tragiques, j’ai voulu raconter dix huit destins de femmes qui par leur beauté tragique ont marqué le sort du monde. De la Chine à l’Egypte en passant par Byzance, Aliénor d’Aquitaine ou Caroline Mathilde de Danemark, j’ai essayé de montrer comment le pouvoir et les femmes ont longtemps fait mauvais ménage.

Le Club : Vos héroïnes ont souvent une dimension tragique, liée à l’époque, au décor que vous choisissez. Ainsi dans la Florentine qui est à ce jour votre plus grand succès au Club, vous nous plongez dans la Renaissance italienne. C’est une de vos époques de prédilection ?

Juliette Benzoni : La Florence du Quattrocento me fascine depuis très longtemps. Avant même de commencer à publier, je rêvais de lui consacrer un roman. J’avais donc déjà rassemblé beaucoup de documentation. Le déclic s’est produit quand j’ai décidé de me baser sur une histoire authentique survenue dans le Cotentin un siècle plus tard, sous Henri IV.

Le Club : Il faut du souffle pour s’engager dans une série de quatre volumes. Vous avez commencé par écrire un plan ?

Juliette Benzoni : Quand je démarre une nouvelle série, je sais où je vais, mais j’ignore encore par quel chemin j’y arriverai. Pour la Florentine, il y avait les Médicis, les papes à la fois indignes et très artistes, les rois de France. Et le pays natal de Fiora : la Bourgogne, une région que j’aime beaucoup et dans laquelle j’ai vécu dix ans.

Le Club : Fiora connaît de multiples expériences sexuelles, sans renoncer pour autant à l’amour romantique ?

Juliette Benzoni :C’est vrai, elle vit une histoire d’amour avec un grand A. Et puis, les choses étant ce qu’elles sont, il lui arrive de se laisser aller… Tenez, je vais tout vous avouer ! Je choisis mes héroïnes dans une époque donnée, mais je les fais réagir comme des femmes modernes pour que mes lectrices puissent se retrouver en elles.

Le Club : Ainsi, la très jeune marquise de Pontalec qui est l’héroïne du premier tome de votre nouvelle trilogie, Un homme pour le roi. Comme toujours dans vos romans, l’histoire s’y marie avec la fiction. Comment travaillez-vous ? En établissant une grille d’événements véridiques, puis en remplissant les vides avec votre imagination ?

Juliette Benzoni : Oh non, pas du tout ! Je démarre et je continue sans m’aider d’aucun plan. Je trouve les chemins au jour le jour. Mais pour écrire ce roman, il est vrai que je disposais d’un fil conducteur en la personne du baron de Batz, un conspirateur parfaitement authentique qui a tenté de sauver Louis XVI, puis Marie-Antoinette, puis Louis XVII, puis sa sour Madame Royale.

Le Club : On a l’impression que vous vous identifiez avec ce soldat de l’ombre dévoué corps et âme à son roi ?

Juliette Benzoni : Si vous essayez de me faire dire que je suis royaliste, c’est tout à fait exact ! Mais je suis une royaliste de regret, un peu comme de Gaulle. Tout en éprouvant de la nostalgie pour la monarchie, je sais bien que ce n’est plus possible.

Le Club : Pourtant, vous décrivez sans complaisance la lutte fratricide qui opposait les partisans de Louis XVI à ceux du futur Louis XVIII.

Juliette Benzoni :Eh oui ! c’était la guerre des agents secrets. Avant de devenir un bon roi, le comte de Provence avait été un très mauvais frère. A deux reprises, il avait tenté de faire assassiner Louis XVI. Au fond, un homme comme le baron de Batz se sentait plus proche des jeunes gens enthousiastes qui partaient défendre leur patrie à Valmy que des traîtres qui pullulaient dans son propre camp

Le Club : Mais d’où vous vient ce goût des complots ?

Juliette Benzoni : Je plaide coupable ! J’ai toujours eu une passion pour les énigmes historiques et pour les joyaux célèbres, comme la Toison d’Or qui occupe une grande place dans mon roman. Pourquoi ? Je ne sais pas… Peut-être parce que je suis Scorpion !

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