Interview

Tout d’abord je tenais à vous remerciez pour ce temps de partage que vous m’avez gentiment offert. Sans le savoir vous allez ravir de nombreux fans.

• Bonjour Mr Demange, vous avez été cascadeur. Pendant combien de temps avez vous fait ce métier ? En quoi consiste-t-il ?

Pour citer Yvan Chiffre, ce métier se divise en deux volets principaux : comédien d’action et technicien du risque. Tous deux ont en commun de servir une mise en scène, avec la volonté de servir l’image tout en préservant l’intégrité physique des comédiens, des figurants et des animaux.

• Vous avez travaillé en collaboration avec Marion Sarraut sur une de ses adaptations. La Florentine.
Quel était votre rôle ?

Un soldat parmi d’autres dans une scène d’action.

• Quels sont vos meilleurs souvenirs ?

Mon principal souvenir concerne la très grande gentillesse de Madame Sarraut. Je ne dis pas « Marion », pour appartenir à une génération qui se fait devoir de dire « Madame » et « Monsieur » à un réalisateur ou à un chef opérateur sur un plateau, quand bien même seraient-ils tutoyés dans la vie courante.

Madame Sarraut avait tellement peur que nous nous fassions du mal dans cette scène de combat, les armes étaient des haches, des épées et autres fléaux d’armes, qu’elle nous répétait sans cesse de faire attention et qu’il n’était pas question de blesser quelqu’un sous prétexte de réussir cette séquencé, (…). Entre chaque prise, nous prenions donc le soin de la faire rigoler pour lui enlever une partie de son stress, mais la prise suivante était un peu plus violente encore. A ce sujet, je me souviens être arrivé à la faire éclater de rire sur le plateau :
 » Madame, nous n’avons pas été informés du scénario de cette histoire, puis-je vous poser une question ?  »
« Bien sûr, je suis là pour ça ! »
« Pourquoi tant de haine ? »

Eclat de rire de sa part…

Quel y fut votre pire souvenir ?

Avoir quitté trop vite ce plateau et… Quand on demandait à Louis Jouvet ce qui était le plus difficile au cinéma, il répondait « Trouver une chaise ! »

• Comment avez vous travaillé avec Marion Sarraut ?

Visiblement, elle nous faisait confiance et se contentait de tourner au mieux ce qu’elle voyait, sans nous donner de directives particulières. En tout bien tout honneur, il est évident que cette Dame est amoureuse des comédiens.

• Avant votre participation à ce tournage aviez-vous déjà lu un roman de Juliette Benzoni ?

Hélas non.

• Lors de votre tournage avez-vous rencontré Juliette Benzoni ? Quels en sont vos souvenirs ?

Lorsque des membres de notre profession arrivent sur un plateau, leur principal souci consiste à écouter les directives de la mise en scène, de créer ses chorégraphies, puis de les proposer à l’image et, si besoin est, de les réadapter en fonction des directives données ou des positions des caméras. Viennent ensuite les répétitions et les différentes prises. Avec tout cela en tête, chorégraphies comprises, il reste peu de place pour les mondanités, à fortiori quand l’engagement est d’une seule journée. C’est ainsi que nous manquons souvent des rencontres très rares.

• Avez-vous gardé un contact particulier avec un des acteurs ou cascadeur?

A cette époque, ce métier était synonyme d’amitié ; dans cette confrérie, personne n’aurait seulement songé à employer le mot « concurrence ». Cette séquence de La Florentine impliquait la présence d’une bonne dizaine de cascadeurs. Parmi eux, sept ou huit régleurs avaient postulé pour ce tournage ; un seul avait bien sûr été engagé, mais tous étaient à ses ordres, sans l’ombre d’une rancœur, avec pour seule volonté de faire au mieux pour servir cette histoire. Aujourd’hui, cet état d’esprit a été lamentablement saccagé ; ne dit-on pas que les chevaux se battent quand il n’y a plus de foin au ratelier ?

• Avez-vous visionné ces séries TV ?

De façon générale, j’avais tendance à éviter de visionner ces séquences en première diffusion avec beaucoup de soin. Il s’agissait de préserver le souvenir du tournage. Souvent, bien des « actions dans l’action » échappent au regard du montage, trop de jolies passes de combat finissent à la corbeille. Pour continuer « à y croire », mieux vaut parfois garder ses rêves…

• Aimeriez-vous travaillé une nouvelle fois avec Marion Sarraut ?

Hélas non, la vie ne l’a pas voulu, ce qui est bien dommage.

* Vous êtes un homme multi facettes avec vos différentes activités actuellement, quels sont elles?

En 1997, j’ai décidé de quitter ce Métier avant que ce soit lui qui me quitte. J’y étais entré en 1972, pour avoir eu la chance de découvrir que sa réalité n’avait rien à voir avec l’image que les médias s’efforçaient, et s’efforcent encore, de donner de lui. En entrant dans l’équipe mon ami André Cagnard, mon but ne consistait pas à faire carrière, mais à apprendre. Au delà des disciplines et de ses spécialisations, le cascadeur est appelé à jouer la comédie, à diriger des comédiens et des figurants, à travailler avec des accessoiristes, des maquilleurs, des éclairagistes, des animaux ou des effets spéciaux. Ce qui fait la grandeur de ce Métier, c’est l’anonymat, le fait de parvenir à faire croire, à l’image, que tel comédien monte parfaitement bien à cheval, qu’il est un escrimeur hors pair ou un casse-cou chronique. Sa principale difficulté, il la rencontre quand une production ne peut fournir les moyens financiers permettant de former correctement les comédiens ou de répéter assez longtemps une scène. Ceci n’était en rien le cas sur « La Florentine », puisque, dans cette séquence, seuls des cascadeurs se connaissant étaient impliqués.

Bref, bien avant de décider de ne plus être ce qu’on appelle un « cascadeur », j’avais ouvert une société de communication par l’évènement. Aujourd’hui, je vis quelque part au coeur du Pays Basque, où je me voue à l’écriture. Concrètement, cela se traduit par des expositions historiques ( je suis entré en cascade en qualité de conseiller historique ), des parutions d’ouvrages, quelques scénarios et pièces de théâtre et… parfois seulement car je ne fais rien pour le provoquer, des petits coups de pouces donnés à de jeunes comédiens, qui estiment n’avoir pas été assez formés à telle ou telle discipline de combat, alors qu’ils ont un contrat à honorer. Ne pas les aider reviendrait à de la non assistance à comédien en danger… (rire..)

Encore un grand merci d’avoir répondu a mes questions……

Merci à vous, de m’avoir donné l’occasion de parler de ce qu’était le Métier de cascadeur.

Vous savez, je fais rarement état de ce que j’ai eu la chance de faire « dans ma vie d’avant ». La seule chose qui me passionne, c’est ce que je vais pouvoir inventer et l’envie de transmettre ce que j’ai eu la chance d’apprendre. D’ailleurs, ce qui a été dit sur lui concerne aussi les comédiens. A la jeune génération, j’ai souvent envie de dire : « Arrêtez de croire que vous travaillez pour vous ! Vous êtes au service d’un réalisateur et d’un auteur ; eux et vous, avez en commun de travailler pour le Public, c’est lui, le vrai patron ! Si carrière il doit y avoir, arrêtez d’y penser, restez des artisans et le reste suivra.

Il est parfaitement possible de travailler sérieusement, sans pour autant se croire obligé de se prendre au sérieux, c’est le Métier, qui m’a appris cette évidence.